Vous présentE

Tristan Tardif, l’étranger qui ne se perd jamais

tristan_tardif_roanne

Devenir orphelin quand on est sportif professionnel. Tristan Tardif, ailier du Club des Hockeyeurs Roannais (D2), l’a vécu à 22 ans. En janvier, il a sensibilisé, sur les réseaux sociaux, sa communauté à la dépression et au suicide. Récit d’une vie cabossée mais toujours positive.

Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile. « Mère Décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien. C’était peut hier. En 1942, Albert Camus expliquait l’irrationalité de la vie dans son roman l’Etranger. Tristan Tardif, lui, veut la sauver depuis qu’il a perdu sa mère, le 20 octobre 2019.

C’est une soirée pleine. À la patinoire de Roanne, le public est en transe. Les Renards viennent de terrasser 10 à 0 une faible équipe de Toulouse. Tristan Tardif a marqué une fois et délivré deux passes décisives. La saison démarre parfaitement, le CHR voit loin, l’attaquant marche fort. Dans les vestiaires, le sportif échange par messages avec sa mère, restée au Canada. « Je suis fière de toi ! », lui écrit-elle. Dans sa vie, tout roule. « À l’époque, je me sentais bien, très bien. J’étais dans ma deuxième saison, l’équipe était forte, tout se passait pour le mieux avec ma copine, Laura. J’avais mes repères après une première année un peu compliquée. »

« C’était en fin d’après-midi ici. Ton monde s’écroule, c’est comme si plus rien n’existait. »

Le lendemain, le coup de téléphone qu’il reçoit est de ceux qui changent une vie. Son père, au bout du fil, lui annonce que sa mère Aline, a fait une tentative de suicide. Quatre jours plus tard, elle est déclarée cliniquement morte. « C’était en fin d’après-midi ici. Ton monde s’écroule, c’est comme si plus rien n’existait. » Sa mère l’avait élevé seule, de bourgade en bourgade, pour lui faire vivre sa passion, le hockey. « Je crois que j’ai toujours eu une crosse en main. On a beaucoup voyagé à travers le Canada. » Dans la région des Laurentides, l’adolescent a parcouru l’Erable en quête de réussite. « Mais elle n’allait déjà pas bien. C’est pour ça que je me suis rapproché de chez nous, à Trois-Rivières. En 2017, j’ai demandé mon transfert de Saint-Jérôme. Malheureusement, la présence ne fait pas tout. »

Après sa dernière année junior, Tristan Tardif doit faire un choix. « On a deux solutions. S’inscrire à la draft (sélection de joueurs après la scolarité) et tenter notre chance en Amérique sans assurance de trouver un club ou partir en Europe. » En dix jours, la décision était prise. « Nous sommes partis à deux. En quelques heures, j’étais à Roanne. » En laissant sa mère. « Je ne me suis pas interdit de partir, car même si ça a été dur, je devais vivre mon expérience. Il est arrivé ce qui est arrivé, elle avait un mal-être profond. Je ne pouvais pas savoir qu’elle allait mettre fin à ses jours. »

La glace comme échappatoire

Avec un détachement qui pourrait rappeler Meursault, l’étranger de Camus, Tardif n’a jamais quitté la patinoire, même quand ça n’allait pas. « J’ai toujours mis une sorte de barrière entre le hockey et ma vie personnelle. C’est mon boulot, je dois donner quelque chose. Quoiqu’il arrive. Sur la glace, je ne pense à rien d’autre qu’à mon jeu. » Sur la glace justement, s’il est un leader offensif, Tardif ne refuse jamais l’explication frontale (93 pénalités concédées lors du dernier exercice). « J’ai le sentiment de tout contrôler. C’est ce que je connais le mieux, je me sens en vie. On me dit souvent que je joue dur. Honnêtement, patins aux pieds, j’aime que les autres ne m’aiment pas. » Pourtant posé et réfléchi dans la vie, l’étudiant en école de commerce justifie ce comportement. « C’est une échappatoire aussi. Surtout à ce moment-là. » Quand on voit la mort, on décide de vivre. Une façon de faire son deuil. Dans ce contexte, Tristan Tardif a haussé son niveau de jeu pour permettre aux Renards roannais de vivre une saison historique (voir encadré).

Mais parfois, pour avancer, il faut partager. « J’en ai d’abord beaucoup parlé à ma copine. Elle a été d’un soutien incommensurable. » « Ce n’était pas facile tous les jours. J’ai fait ce que j’ai pu », convient Laura, son amoureuse depuis 2 ans. À l’arrêt des compétitions amateures, en novembre dernier, l’envie d’agir, de se rendre utile est venue. « Je me suis dit : qu’aurait-elle fait pour moi ? » Naturellement, dans l’air du temps, Tristan a pris son téléphone pour se filmer et aider. D’une manière ou d’une autre. « C’est un moyen de l’honorer. Si je peux soutenir les autres en parlant, tant mieux. C’est une expérience si traumatisante. » En ouvrant son cœur le 15 janvier dernier, le Roannais s’est libéré. « Ça m’a fait du bien. » Pendant trois minutes, il se livre, explique et accompagne les internautes afin d’alerter sur le sujet. Très vite, sa vidéo de sensibilisation explose. 100 000 vues en 3 jours, 4 000 dollars récoltés. « Je reçois beaucoup de témoignages. Certains prennent conscience du problème qui les tourmente. D’autres, touchés par la perte d’un proche, se sentent compris. » Dans la période actuelle, l’action prend tout son sens. Et il ne veut pas s’arrêter là. « J’aimerais atteindre le million de vues pour toucher le plus de gens possible et récolter un maximum de fonds pour l’association canadienne pour la santé mentale. À terme, je souhaite créer une fondation et pérenniser le #undollaràlafois. », le hashtag qu’il a lancé pour l’occasion.

https://www.instagram.com/p/CKFLMJTIr46/

Avec une maturité déconcertante, le jeune homme essaie d’avancer tant bien que mal sans son pilier de toujours. « Depuis ses funérailles, mon discours n’a pas changé. C’est son choix, je ne suis pas d’accord mais c’est comme ça. » L’éducation qu’il a reçue lui permet de mieux vivre le deuil. « Je crois qu’elle m’avait préparé à son départ. Au Canada, on dit “qu’elle a rempli d’outils ma boîte à outils” ». Effectivement, la boîte à outils est bien remplie. Le futur étudiant d’HEC Montréal quittera la Loire en juillet, le cœur éléphant. « J’ai de l’amour pour la ville et le club. » À ses côtés, Laura, bientôt ingénieure l’accompagnera. « Il a fait des concessions pour rester malgré la situation. À mon tour d’en faire. », confie-t-elle. Cet été, Tristan Tardif ne sera plus hockeyeur professionnel. « Je m’identifie en tant que tel depuis si longtemps. Ne plus l’être, c’est comme sauter dans l’inconnu. En plus, je n’ai jamais vécu au Québec sans ma mère. C’est une nouvelle histoire. » Entre impatience et appréhension, il passe à un autre chapitre.

Père et fils, lié par la perte et le palet

Il faut dire qu’en douze mois, la vie du Canadien a été bouleversée. La relation avec son père aussi. « Il a toujours été un ami, un conseiller. Il n’a pas eu d’autorité sur moi, avoue-t-il. Quand c’est arrivé, l’occasion était trop belle pour ne pas la saisir. « Je lui ai dit : “Maintenant, t’as une chance d’avoir une autre relation avec moi. C’est peut-être l’occasion de se retrouver”. Avant on ne s’écrivait pas ou très peu. Aujourd’hui, on s’appelle 3 fois par semaine. »

La vie glisse sur Tristan Tardif ou il glisse sur la vie, choisissez. Bonnes ou mauvaises, il se sert des nouvelles pour écrire son histoire en s’inspirant de tout ce qu’il trouve. « Mon livre de chevet en ce moment, c’est Pères Riches, père Pauvres de Robert Kiyosaki. Il explique comment prendre conscience de nos dépenses fiancières. Il tente de nous aider à comprendre quels sont nos besoins pour être heureux. » Autre influence. Elon Musk, le richissime propriétaire de Tesla insuffle une nouvelle vision de l’existence. « C’est un peu la figure de l’anticonformisme pour notre génération. Il est philanthrope, fait ce qu’il veut et n’a que faire des grands groupes. Comment ne peut-il pas être inspirant ? » Sans se cloisonner au sport, le futur retraité, curieux de tout, emmagasine pour enrichir son chemin et trouver le bon de partout.

À en croire Albert Camus, toutes les vies sont dénuées de sens car la mort est inéluctable. Tristan Tardif, lui, creuse pour en trouver. Qu’il soit hockeyeur, trader ou gestionnaire de patrimoine importe peu finalement. Aujourd’hui, il vit sa vie pour ne rien regretter. Et pour dire merci à celle qui, de là-haut, veille sur lui.

Reportage signé Arthur Braymand

Vous avez aimé cet article ?

Partager sur Facebook
Partager Twitter
Partager sur Linkdin

LAISSER UN COMMENTAIRE